Philosophie, rire et chansons
En partenariat avec La Semaine de la Pop Philosophie
Philosophie, rire et chansons…
2022: voilà que s'ouvre la quatorzième semaine de la Pop Philosophie à Marseille.
Quatorze ans que le "pop" et sa fausse réputation de figure de l'éphémère - qui fait "pop" pour disparaître dans la vacuité d'une onomatopée - s'associe ici à la philosophie et se fait véritablement l'écho de la pensée contemporaine. Sous des thèmes divers et variés, "séries télévisées", "magie", "zombies", "comédie"..., chamarrés comme la culture démocratique elle-même, cela fait quatorze ans que la pensée se frotte ici à ce qu'au premier abord, elle méprise, peu ou prou, négligeant sans finesse des objets qu'elle suppose obtus, essentiellement faute de s'être disciplinée à les connaître.
Pour cette quatorzième édition, la réflexion est conviée à une véritable ronde: "Philosophie, rire et chansons", trois grâces un peu disparates s'y préparent à une danse qu'on imagine joueuse et débridée, ou peut-être complètement étrange et improbable comme un silly walk des Monthy Pythons. Avec un pareil titre, avec ces pluriels sonores et clinquants, on semble convier la philosophie dans l'espace de ce qui n'est pas sérieux, dans la légèreté dénuée de profondeur, dans le comique de mots et le comique de situation, dans la chanson à chute et la répétition. Le tout s'annonce comme un joyeux vacarme où la pensée critique viendra se faufiler.
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Cette année, avec la Semaine de la Pop Philosophie, nous ne boucherons donc pas nos ouïes. Dans les éclats, le jeu et le bruit, nous distinguerons les formes, les harmonisations subtiles, les rythmes et les silences, sous le comique, le tragique, sous le non-sérieux, la philosophie.
Au début des années soixante, Bourvil - qui se prêta aussi avec délicatesse à l'art de la chanson - à un sketch célèbre intitulé "C'est l'histoire du jockey qui...". Le propre de cette histoire c'est qu'elle n'est jamais racontée jusqu'au bout parce qu'elle fait "mourir de rire" ceux à qui on la raconte. Bourvil alors, en mêlant un rire opaque à ses paroles, ne raconte jamais "L'histoire du Jockey", c'est-à-dire toute la suite de morts subites (ou différées, pour ceux qui mettent plus de temps à comprendre la blague) qu'elle a causées. A la fin, c'est le narrateur lui-même qui meurt de rire sur scène de se l'être racontée. Et le public rit aux éclats, mais préservé des conséquences tragiques du fait d'entendre cette histoire aussi fatale que drôle jusqu'au bout. Dans cette histoire d'histoire, ce rire de la possibilité de mourir de rire, tout est rythme, interruptions, répétition et irrésolution, et pourtant, c'est aussi un petit système, un dispositif "méta" seul à même de nous permettre, pour cette fois, de rire sans mourir. "Philosophie, rire et chansons": dans la ronde de l'apparente légèreté, la mort s'invite en vérité, et il faut des talents extrêmes d'habilité philosophique, musicale et comique, pour, à chaque instant, la déjouer.
Agnès GAYRAUD, philosophe, théoricienne de l'art et autrice de Dialectique de la Pop
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